Broderie Toile de Jouy - Musées et Patrimoine - Première partie
Le titre de la broderie, le chef de pièce des toiles de Jouy
En guise de titre pour cet ouvrage, j’ai choisi de reproduire un chef de pièce : apposé au début et à la fin des pièces imprimées, il sera rendu obligatoire en France par arrêt royal du 10 novembre 1785. Les chefs de pièce permettent de suivre l’évolution du nom de l’entreprise. Ici, celui qui fut imprimé entre 1789 et 1792, âge d’or de la manufacture de Christophe Philippe Oberkampf, et durant lequel ce dernier en fut le seul propriétaire. Par la suite, seront adjoints au nom d’Oberkampf, celui de Widmer puis de Barbet de Jouy.
Sur les toiles de Jouy, la taille du chef de pièce était d’environ 3 à 3,5 cm de haut et oscillait entre 26 et 43 cm de large. Afin qu’il constitue un titre satisfaisant en regard de la taille de l’ouvrage, celui-ci mesure 4,5 cm de haut et un peu plus de 50 cm de large.
La toile de Jouy Les Travaux de la Manufacture
Entre autres choses, lors de ma première visite au musée de la toile de Jouy, j’ai été immédiatement séduite par cette magnifique toile de Jouy qui illustre les Travaux de la Manufacture (ci-contre), c’est d’ailleurs ainsi qu’elle se nomme. Dans un désordre étudié, elle décrit par le menu les différentes étapes de l’impression de la toile de Jouy. J’ai donc choisi celles qui me plaisaient le plus et qui permettaient aussi un bon agencement. Ce choix est subjectif et non exhaustif. Le plus difficile a été de parvenir à un effet proche de la trame du tissu avec du point croix, qui a un rendu un peu raide. Je n’étais pas satisfaite des premiers essais jusqu’au moment où j’ai eu l’idée de casser les codes traditionnels du point de croix, en associant deux couleurs dans les mêmes croix et, surtout, en ne les faisant pas toutes dans le même sens. Même chose avec les demi-points, nombreux, qui ne sont pas tous dans le même sens. Je trouve que le résultat est assez convainquant.
La fabrication de la toile de Jouy
C’est donc à partir de cette toile de Jouy Les Travaux de la Manufacture que j’ai donné l’aspect toile de Jouy à cet ouvrage. Comme vous le verrez plus loin, la manufacture Oberkampf a produit bien d’autres tissus que les toiles dites « à personnages ». Avant l’impression, la toile brute doit subir plusieurs étapes de préparation qui sont primordiales : plusieurs lavages pour la débarrasser des apprêts du tissage. Ces lavages sont effectués avec l’eau de la petite rivière Bièvre laquelle, réputée pour sa pureté, avait été un des critères du choix de l’emplacement de la manufacture. Ensuite intervient un grillage sur une plaque de cuivre chaude, pour débarrasser la toile de son duvet. Relavée, elle est ensuite passée à la calandre pour en écraser la fibre. Seulement après intervient l’impression des mordants ou mordançage, qui nécessite elle aussi de nombreuses opérations.
L'impression de la toile de Jouy
Ici, l'impression à la planche de bois, technique employée depuis les débuts de l’indiennage en France. À partir de 1770, apparaîtra l’impression à la plaque de cuivre, présente sur la toile originale mais que je n’ai pas représentée dans cet ouvrage. Viendra ensuite l’impression au rouleau de cuivre, technique venue de Grande-Bretagne.
Le garançage de la toile de Jouy
Après l’impression des mordants, c’est le garançage qui va révéler certaines couleurs. Les mordants sont des compositions à base de sels d’alumine (alun) ou de fer incolores, lesquels fixent la couleur lors de l’opération du garançage qui consiste à passer la toile dans un bain de racines de garance porté à ébullition - la garance est cette plante de la famille des rubiacées connue pour donner la couleur rouge. Le garançage, qui agit comme un révélateur en fonction de la composition des mordants, ne fait apparaître que les couleurs rouge, rose, violet, marron et noir. Lors de cette opération, les toiles sont attachées bout à bout et passent sur un moulinet, que l’on voit sur la gauche ; ce mouvement permet une teinture uniforme. Quant à la petite cahute sur la droite, elle permet d’entretenir le feu pour l’ébullition de la solution. De la bonne consistance des mordants dépend la netteté de l’impression, c’est pourquoi ils sont épaissis avec différentes gommes. Celles-ci sont ensuite éliminées par le bousage : la toile est trempée dans un bain de bouse de vaches pour éliminer ces épaississants. Le garançage permet d’obtenir les coloris dits « bon teint », ceux qui résistent aux lavages et aux ultra-violets. Le bon teint s’oppose au « petit teint », de qualité inférieure.
Le blanchiement de la toile de Jouy
À l’issue du garançage, les parties non mordancées restent roses. Il faut donc les étendre dans les prés afin de procéder à un blanchiement au soleil. Elles sont arrosées sept à huit par jour pendant plusieurs jours. C’est ce que l’on voit au premier plan. Au second plan, remarquez un des bâtiments de la manufacture Oberkampf où sont accrochées des toiles pour le séchage. Au musée, il existe une ravissante gouache montrant, de la même manière, le séchage de toiles multicolores. Aux heures de gloire de la manufacture, les greniers du « grand bâtiment » (qui mesurait 111 mètres de long !) étaient dévolus au séchage des toiles de Jouy avec une longue succession de chiens assis dans les toits permettant une bonne circulation de l’air.
Les pinceauteuses de la toile de Jouy
L'impression ne permettant pas l’obtention de tous les coloris, les toiles doivent repartir à l’atelier d’impression pour les couleurs dites d’application que sont les verts, les jaunes et les bleus. Si leur étendue sur la toile ne justifie pas la gravure d’une planche, ces couleurs sont appliquées par les pinceauteuses. Elles employaient des pinceaux faits de leurs… cheveux ! En 1793, on comptait 300 pinceauteuses à la manufacture. Jusqu’en 1808, date de l’invention par Samuel Widmer (un des neveux d’Oberkampf) du vert solide, les pinceauteuses superposaient une couche et jaune puis une couche de bleu pour obtenir cette couleur. La touche finale est donnée par le glaçage : une couche de cire et d’amidon fixée par un passage à la calandre à chaud. Certaines pièces pouvaient même être polies avec une bille d’agate pour les satiner et de donner de l’éclat aux couleurs. De 1780 à 1805, la manufacture Oberkampf employa plus de 1 000 ouvriers et même 1 400 si l’on y ajoute ceux de la filature de Chantemerle, à Essonnes, créée pour tisser le coton.
Christophe Oberkampf, le propriétaire, Jean-Baptiste Huet, le dessinateur
À gauche, M. Oberkampf en compagnie de son fils Émile. À droite : Jean-Baptiste Huet (1745-1821) peintre et graveur de talent qui travailla beaucoup pour la manufacture et qui est l'auteur de cette magistrale composition qui fut imprimée à la plaque de cuivre en 1783. La collaboration avec des artistes de renom, mais aussi des chimistes aussi connus que Gay-Lussac et Berthollet contribueront à la célébrité de la manufacture Oberkampf.
Les coloris de la toile de Jouy
Une des difficultés a été de trouver les bons coloris : parvenir à rendre l’effet d’un tissu imprimé en une seule couleur, mais avec des intensités différentes, ce en utilisant trois coloris de fil à broder. De plus, le résultat devait être un subtil équilibre entre une certaine gaîeté et un aspect légèrement fané du tissu. Pour faire ces essais, M. Oberkampf en personne me paraissait tout indiqué !
Version n° 1
Version n° 1 avec les coloris de Retors du Nord 2028 (chaudron), 2469 (bois de rose) et 2479 (fard). Un peu triste et le contraste entre les couleurs n’est pas bon.
Version n° 2
Version n° 2 avec les coloris de Retors du Nord 2028 (chaudron), 2033 ( glaïeul) et 2469 (bois de rose). Trop foncé et le dégradé entre les couleurs est trop marqué.
Version n° 3
Version n° 3 avec les coloris de Retors du Nord 2032 (andrinople), 2469 (bois de rose) et 2535 (blush). L’ensemble est trop vif et a un aspect trop moderne.
Version n° 4
Version n° 4 avec les coloris de Retors du Nord 2033 (glaïeul), 2469 (bois de rose) et 2447 (rose). C’est la bonne combinaison, le ton rouge passé du 2033 convenant parfaitement au rouge des toiles de Jouy.
Si c’est le rouge qui vient le plus souvent à l’esprit lorsqu’on évoque la toile de Jouy, elle ne fut pas la seule couleur imprimée à la manufacture. On trouve aussi le bleu, le violet, le bronze et le marron. Ces petits échantillons de couleur sont là pour le rappeler.
Les indiennes et autres tissus imprimés à Jouy
Mon idée pour cet ouvrage était aussi de faire découvrir les autres productions de la Manufacture Oberkampf, beaucoup moins connues que les fameuses toiles à personnages.
Afin d’accentuer l’aspect échantillons de tissu des Mignonnettes, Bonnes Herbes et Indiennes, ces motifs sont brodés sur des lins différents, qui sont ensuite rapportés sur la broderie. Voyez dans la seconde partie les détails sur ces tissus, dont la production fut très importante.
La bordure de l'ouvrage
Lorsqu’elles étaient destinées à l’ameublement, les indiennes étaient toujours assorties à deux sortes de bordures : une à grande échelle pour les tentures, l’autre, à motif plus petit, pour les sièges et les rideaux. La bordure qui entoure cet ouvrage est une interprétation d’un modèle imprimé à la manufacture.
Voyez tous les kits et grilles Toile de Jouy et tissus indiennes dans la collection Musées et Patrimoine. Dans notre rubrique Toile de Jouy, vous pourrez découvrir les origines de la toile de Jouy et l’histoire de tous les sujets qui ont inspirés l’impression de ces tissus qu’on appelle aussi des toiles historiées. Des sujets historiques aux sujets littéraires, en passant par les évènements d’actualité marquants, comme le Ballon de Gonesse, et toutes les scènes de genre dépeignant des saynètes villageoises et campagnardes, ou encore ce que l’on a appelé les chinoiseries.