Les grands magasins et leurs célèbres catalogues anciens

Les grands magasins et leurs célèbres catalogues anciens

- Catégories : Mercerie de collection

Read the English version
Fassung in deutscher Sprache

Deux formidables expositions ont récemment mis en lumière la naissance et l'univers magique des grands magasins.
La première, La Naissance des grands magasins : mode, design, jouet, publicité 1852-1925, s'est tenue au Musée des Arts Décoratifs de Paris, du 10 avril au 5 octobre 2024. La seconde, La Saga des grands magasins de 1850 à nos jours, est actuellement à la Cité de l'Architecture de Paris et se terminera le 6 avril 2025.

La naissance des grands magasins s'inscrit dans un contexte politique, économique et industriel bien particulier où tous les éléments convergent pour rendre leur succès possible. Sous le Second Empire (1852-1870), ces nouveaux temples du commerce émergent comme des symboles de modernité et de prospérité.

Paris transformé sous Napoléon III, le berceau des grands magasins

Sous le Second Empire (1852-1870), Paris se transforme pour devenir une capitale moderne et prestigieuse. Inspiré par Londres, Napoléon III confie à Georges Haussmann la réorganisation de la ville : 20 000 maisons sont démolies et 43 000 immeubles haussmanniens édifiés. De larges boulevards, pensés pour faciliter la circulation des personnes et des marchandises, deviennent des emplacements de choix pour les premiers grands magasins.

Affiche pour le grand magasin Aux Phares de la Bastille - vers 1890 Affiche pour le grand magasin Au Louvre

Impressionnantes vues pour deux grands magasins, Aux Phares de La Bastille, situé place de la Bastille, et Au Louvre, situé rue de Rivoli.
Même si les travaux du baron Haussmann ont créé de grands boulevards, le recul sur les bâtiments est un brin exagéré !
(Cliquez sur les images pour les agrandir)

Le chemin de fer, un moteur de croissance commerciale

La révolution ferroviaire, portée par Napoléon III, transforme les échanges commerciaux. Entre 1851 et 1869, le réseau s’étend de 3 558 km à 16 994 km, connectant Paris à de nombreuses régions. Les grands magasins tirent parti de cette infrastructure pour élargir leur clientèle provinciale et promouvoir la vente par correspondance, une innovation majeure de l’époque.

L’industrialisation au service des grands magasins

L’industrialisation rend la production de masse possible. Les avancées technologiques, comme le quadruplement de la puissance des machines à vapeur et l’essor de la production de fonte et d’acier, permettent aux grands magasins de proposer une offre abondante et diversifiée. Les Expositions universelles de 1855 et 1867 célèbrent ces progrès et présentent au public une multitude d’innovations dans tous les domaines.

Image tissée de Saint-Etienne représentant Napoléon III et l'Impératrice Eugénie

Image tissée représentant Napoléon III et l'Impératrice Eugénie. Reflet des immenses progrès de l'industrie rubanière de la région de Saint-Etienne, ce type d'images tissées démontre un impressionnant savoir-faire. Notez le détail des contrastes et la présence de violet, la couleur préférée de l'Impératrice.

Des temples du commerce et du plaisir

La première moitié du XIXᵉ siècle est marquée par un dynamisme commercial sans précédent, favorisé par la disparition des corporations. Cette évolution permet l’émergence de formes de commerces concentrés comme les passages couverts, les bazars et les magasins de nouveautés. Ces derniers, ancêtres des grands magasins, doivent leur nom aux tissus fantaisie se renouvelant à chaque saison. Sous une même enseigne, ils proposaient tissus pour l’habillement et l’ameublement, articles confectionnés, dentelles, fourrures, mercerie, bonneterie et l’incontournable châle. Leurs noms faisaient souvent référence à leur localisation ou aux titres de pièces à succès, posant ainsi les bases de l’identité des grands magasins.

Émile Zola décrit les grands magasins comme des « cathédrales du commerce moderne ». Leur architecture spectaculaire, mêlant verre et métal, sublime l’expérience d’achat. À l’intérieur, les marchandises sont mises en scène avec soin, dans une théâtralité qui suscite contemplation et désir. Pour la première fois, "faire les magasins" devient une activité de loisir et de plaisir, libérée de la seule nécessité. La consommation est facilitée par une innovation majeure : les prix fixes et affichés, remplaçant les négociations aléatoires du passé. Les grands magasins ne transforment pas seulement le commerce : ils redéfinissent aussi les relations de travail. Leur gestion paternaliste, mêlant protection et contrôle, encadre la vie des employés. Ce modèle accompagne leur essor fulgurant jusqu’à l’entre-deux-guerres, faisant de ces enseignes des piliers de la société de consommation.

Affiche de Jean Alexis Rouchon pour le magasin Aux Dames de Paris - 1852
Affiche de Jean Alexis Rouchon pour le magasin de Nouveautés A Saint-Augustin - 1865
Affiche de Jules Chéret pour la Maison du Petit Saint-Thomas - 1886
Affiche de Jules Péan pour le grand magasin Aux Trois Quartiers

Les grands magasins étaient perçus comme de nouveaux lieux de loisir, où la bourgeoisie était invitée à flâner dans les rayons ou à se détendre dans les salons de lecture. Les clients y étaient considérés davantage comme des invités que comme de simples acheteurs, avec une entrée libre et sans obligation d’achat, une idée révolutionnaire pour l’époque. Des expositions variées s’y succédaient, offrant des divertissements destinés à inciter aux achats.

Les catalogues de vente par correspondance

La vente par correspondance s’impose comme une innovation majeure pour les grands magasins, répondant à l’essor de la production de masse et à la diversification des articles. Ces catalogues permettent d’élargir la clientèle à la province et à l’étranger, devenant rapidement un outil clé de ce nouveau système commercial. D’abord de simples feuillets, les catalogues évoluent pour devenir de véritables ouvrages richement illustrés, classant les produits par catégories et reflétant la diversification des rayons. Dans les années 1870, leur format et leur contenu se spécialisent et s’étoffent, tandis que les grands magasins développent des services dédiés à la gestion de cette activité. Ces publications offrent un aperçu des modes de vie bourgeois, couvrant des domaines variés comme la mode, la décoration, les arts ménagers, ou encore les loisirs. Elles mettent en avant les nouveautés de l’époque, telles que les bicyclettes, les automobiles ou les séjours balnéaires, illustrant les aspirations et les goûts d’une clientèle en plein changement.

Dans cette vidéo, vous pourrez feuilleter quelques-uns de ces catalogues de la collection de Madame Sajou :

Les pionniers des grands magasins, une révolution commerciale

Le Bon Marché, qui existe toujours, est souvent décrit comme le plus ancien des grands magasins parisiens, mais cela n’est pas tout à fait exact. Avant lui, Le Tapis Rouge, fondé en 1784, avait déjà ouvert ses portes, préfigurant l’essor de ce modèle commercial. Le Petit Saint-Thomas (affiche ci-dessus), fondé en 1830, et Pygmalion, apparu en 1793, ont également joué un rôle dans la transformation du commerce parisien, tout comme La Belle Jardinière, fondée en 1824, qui s’impose comme un précurseur du prêt-à-porter.

Affiche Au Tapis Rouge considéré comme l'ancêtre des grands magasins Affiche annonçant les agrandissements du grand magasin Pygmalion

En dehors de Paris, d'autres grands magasins ont marqué l’histoire du commerce. À Manchester, au cœur de la Révolution industrielle, Kendals (anciennement Watts Bazaar), fondé en 1796, est un des premiers grands magasins au Royaume-Uni, reconnu pour son architecture novatrice. À Londres, Harrods, fondé en 1849 par Charles Henry Harrod, est aujourd’hui l’un des grands magasins les plus emblématiques au monde. En Australie, David Jones, fondé à Sydney en 1838 par le tailleur gallois David Jones, reste le plus ancien grand magasin au monde à opérer sous son nom d’origine, offrant une expérience de luxe et un service personnalisé.

En 1852, Aristide Boucicaut fonde Au Bon Marché à l’angle de la rue de Sèvres et de la rue du Bac à Paris. Inspirés par ce modèle, de nombreux autres grands magasins voient le jour dans les décennies suivantes. En 1855, les Grands Magasins du Louvre ouvrent à Paris, suivis en 1856 par le Bazar de l’Hôtel de Ville et le Palais de la Nouveauté Crespin-Dufayel, toujours à Paris. En 1858, Macy’s s’installe à New York, tandis qu’Au Printemps est fondé à Paris en 1865. En 1869, c’est au tour de La Samaritaine d’ouvrir ses portes à Paris, et en 1870, le Magasin du Nord voit le jour à Copenhague.

Affiche lithographiée de l'intérieur du grand magasin Crespin-Dufayel Palais de la Nouveauté

Vue impressionnante de l'intérieur du grand magasin Crespin-Dufayel, ancien Palais de la Nouveauté,
qui était situé rue de Clignancourt. Il a fermé ses portes en 1930.

À partir des années 1890, une nouvelle génération de grands magasins apparaît à l’échelle mondiale. Parmi eux, El Palacio de Hierro ouvre à Mexico en 1888, suivi du GUM à Moscou en 1893 et des Galeries Lafayette à Paris en 1894. En 1898, Tietz s’installe à Berlin, et en 1900, L’Innovation ouvre à Bruxelles. KaDeWe voit le jour à Berlin en 1907, Selfridges à Londres en 1909, et La Rinascente à Milan en 1917.

En 1912, Au Printemps inaugure sa première succursale à Deauville, répondant aux attentes de sa clientèle bourgeoise en villégiature. Deux ans plus tard, en 1914, Harrods traverse l’Atlantique pour établir un magasin à Buenos Aires, illustrant l’expansion internationale des grands magasins.

Les grands magasins japonais entre tradition et modernité

Si en Europe, et notamment en France, beaucoup d'enseignes de grands magasins ont disparu et les grands magasins sont en perte de vitesse, au Japon ils affichent toujours une vitalité impressionnante, et nombre d'entre eux existent encore aujourd’hui. Frédérique Crestin-Billet est bien placée pour le savoir, ayant été à de nombreuses reprises dans le cadre de French Fairs pour y présenter les produits de la Maison Sajou, lesquels ont un impressionnant fan club parmi la clientèle japonaise.

Les grands magasins japonais, tels que nous les connaissons aujourd’hui, trouvent leurs origines dans des établissements bien plus anciens, souvent dédiés à la vente de kimonos. En 1611, Matsuzakaya voit le jour sous le nom de "Ito Gofukuten", avant de fusionner avec Daimaru en 2007. Daimaru lui-même a été fondé en 1717 à Kyoto sous le nom de "Daimonjiya". Mitsukoshi, souvent considéré comme le plus ancien grand magasin du Japon, remonte à 1673 lorsqu’il s’appelait "Echigoya", un magasin de kimonos basé à Osaka. En 1662, Tokyu débute sous le nom de "Shirokiya" à Nihombashi, Tokyo, tandis que Takashimaya, une autre enseigne emblématique, ouvre à Kyoto en 1831. Isetan, fondé en 1886 sous le nom de "Iseya" à Kanda, Tokyo, fusionnera avec Mitsukoshi en 2008, perpétuant la riche tradition de ces magasins historiques.

Le grand Magasin Mitsukoshi Nihonbashi au coeur de Tokyo

Le grand magasin Mitsukoshi dans les années 1920. Situé au cœur de Tokyo, près de Nihonbashi (日本橋), ce qui signifie le "pont du Japon",
ce pont historique a été construit en 1603, pendant l'ère Edo. Il servait de point de départ pour les principales routes du pays et reste aujourd’hui le kilomètre zéro du réseau routier japonais.

Les débuts du XXᵉ siècle voient l’émergence de nouveaux noms comme Kintetsu en 1920 (initialement "Kyoto Bussankan"),
Hankyu en 1929, Seibu en 1940 et enfin Odakyu en 1961.

Cependant, Mitsukoshi est souvent désigné comme le premier véritable grand magasin du Japon. En 1904, il proclame sa "Déclaration de grand magasin", affirmant son ambition de fonctionner selon les principes des grands magasins occidentaux : une organisation en départements, la vente de produits locaux et importés sous un même toit, avec des prix fixes et des articles exposés derrière des comptoirs en verre.

À Tokyo, au tournant du siècle, cette révolution commerciale inspirée de l’Occident est portée par Mitsukoshi et son rival Shirokiya, les deux plus grands magasins de la capitale. Ces enseignes proposaient une version japonaise de la "vie moderne" (modan raifu), mêlant curiosités étrangères et produits locaux dans un cadre innovant. Après le tremblement de terre de 1923, ces grands magasins se dressaient littéralement comme des symboles de modernité au-dessus des lignes horizontales de la ville, incarnant les transformations sociales et culturelles qui redéfinissaient la vie japonaise à cette époque.

Produits associés

Articles en relation

Partager ce contenu

Nouveau compte, Inscrivez-vous

Vous avez déjà un compte ?
Connectez-vous Ou Réinitialisez votre mot de passe