Broderie Château de Chenonceau - Musées et Patrimoine - Première partie
Les sources d'inspiration de la broderie
À la fin de l’année 2015, je fus contactée par le château de Chenonceau, la conservatrice, Laure Menier, souhaitant qu’une sélection de produits Sajou soit proposée dans la boutique du musée. Rien ne pouvait me faire plus plaisir, évidemment ! En décembre 2015, je me rendis donc au château et là ce fut l’éblouissement ! Il me restait de vagues souvenirs d’enfance de cet édifice si original enjambant le Cher, mais il faut des yeux d’adulte pour apprécier à sa juste valeur la qualité de l’endroit. Tout y est d’une beauté extrême et d’un raffinement à couper le souffle. Comme une maison habitée, le château de Chenonceau sent bon la cire, est fleuri partout et comporte de nombreuses pièces de mobilier. Sans compter, bien sûr, une exceptionnelle collection d’œuvres d’art. Sous le charme - mais qui ne le serait pas - voici donc cette grille évoquant ma vision de ce château dont l’existence et l’histoire, ce qui n’est pas pour me déplaire, doit beaucoup à de nombreuses femmes.
Pour chacune des grandes broderies faisant partie de cette collection, j’utilise des coloris de lin différents.
Ici, la couleur ardoise m’a parue la plus appropriée. De plus, elle est un joli clin d’œil à ces beaux châteaux de la Loire dont les toitures sont en ardoise.
La composition ne fut pas si simple à concevoir car, bien que le château regorge de belles choses, je ne devais pas oublier le prisme de cette collection, qui est le textile. Mais il fallait aussi, bien sûr, évoquer l’histoire et toutes ces belles dames grâce auxquelles le château fut construit puis sauvegardé.
Il n’est pas possible d’évoquer ici toute l’histoire de Chenonceau, mais si vous vous lancez dans cette broderie, une visite sur place s’impose.
Le titre de la broderie
Le château datant du XVe siècle, il fallait que son nom soit inscrit dans une typographie évoquant de style Renaissance.
J’ai donc créé des lettres et une lettrine telles qu’on pourrait les trouver dans les livres d’enluminures de la même époque.
Chenonceau est tellement identifiable, que je n’ai pas résisté au plaisir d’en mettre la silhouette. Elle rappelle la collection de dessins d’architecture de différentes époques représentant le château et qui sont exposés au premier étage dans le Cabinet d’Estampes.
Les dames de Chenonceau
Katherine Briçonnet
TBK sont les initiales de Thomas Bohier et de son épouse, Katherine Briçonnet. Ce sont eux qui sont à l’origine de la construction du château de Chenonceau, sur la base de l’ancien château des Marques. Cette devise « S’il vient à point me souviendra » montre l’ampleur du chantier entrepris (en effet, elle signifie « Si je parviens à construire Chenonceau, on se souviendra de moi »). Katherine Briçonnet joua un rôle déterminant dans les choix architecturaux, tandis que son époux se trouve en Italie aux côtés de François Ier. Ces armoiries et devise figurent sur la porte d’entrée du château, tandis que les initiales des Bohier sont aussi présentes dans plusieurs pièces de l’édifice.
Diane de Poitiers
Favorite d’Henri II et de vingt ans son aînée, Diane de Poitiers (1499-1566) se fit donner Chenonceau par son royal amant, alors qu’en principe, le domaine appartenait à la Couronne.
Elle y fit aménager de spectaculaires jardins et c’est elle qui fit construire le pont enjambant le Cher. Amateur de tournois, Henri II y trouvera la mort en 1559. Diane de Poitiers sera alors contrainte d’abandonner le domaine au profit de Catherine de Médicis.
Cette broderie représentant Diane de Poitiers a été inspirée par un tableau où elle est vêtue d’une robe couverte de broderies et enrichie de nombreuses perles (qu’elle adorait). Ce sont ces perles que vous broderez avec le Caudry. Notez aussi sa coiffe en quartier de lune, allusion à ses armoiries.
Catherine de Médicis
Épouse légitime d’Henri II, Catherine de Médicis (1519-1589) contraignit Diane de Poitiers à rendre Chenonceau à la Couronne, lui donnant en échange le château de Chaumont. Devenue régente à la mort de son mari, elle dirigeait le royaume depuis son Cabinet Vert (évoqué dans cette broderie). C’est Catherine de Médicis qui fit construire, sur le pont érigé par sa rivale, la spectaculaire galerie à double étage, faisant de Chenonceau un lieu unique au monde. Catherine de Médicis est ici interprétée d’après les tableaux la représentant en tenue de veuve avec, comme seule concession à la fantaisie, un col et des manchettes de dentelle. Selon la mode du temps, elle porte un voile en forme de conque avec une pointe lui recouvrant le front.
Louise de Lorraine
Belle-fille de Catherine de Médicis et épouse du roi Henri III, Louise de Lorraine (1553-1601) passa la fin de sa vie à Chenonceau. Son mari fut, en 1589, assassiné par Jacques Clément, un fanatique catholique – nous sommes alors en pleine tourmente religieuse, l’Édit de Nantes sera signé en 1598. Louise de Lorraine prendra ici son deuil, vêtue de blanc comme le veut l’étiquette de la Cour, et fit tendre de noir le rez-de-chaussée du château et peindre dans sa chambre les signes de son état (voir Les Symboles). Sa disparition marque la fin de la présence royale à Chenonceau. Louise de Lorraine est ici représentée d’après un dessin de François Clouet et, pour les couleurs, d’après un portrait conservé au musée Czartoryskich de Cracovie. Elle arbore une robe spectaculaire dont le col est constitué de trois ou quatre rangées de fine dentelle. Elle porte un voile décoré de nombreuses perles, qui sont à broder avec le fil Caudry, tout comme son collier fait des mêmes perles.
Louise Dupin
Si Louise Dupin (1706-1799) n’est pas de sang royal, elle a tout d’une reine: la grâce, l’intelligence, le goût, l’ouverture d’esprit, sans compter une garde-robe à couper le souffle. Elle ramène la gaieté à Chenonceau, que son mari avait racheté en 1733 à Louis IV de Bourbon-Condé. Rousseau, Montesquieu, Buffon et bien d’autres animeront ses salons brillants. Sa bonté d’âme, doublée de la complicité du curé de Chenonceaux, lui permettront de sauver le château de la tourmente révolutionnaire. Elle y mourra à l’âge de 93 ans. Louise Dupin est l’arrière-grand-mère d’Aurore Dupin, plus connue sous le nom de George Sand. Louise Dupin est ici représentée d’après un portrait de Nattier, conservé au château de Chenonceau. Ce peintre est célèbre pour ses bleus et, de fait, c’est une robe bleue qu’elle porte sur ce tableau. Malheureusement, en raison de la taille de la broderie, elle ne peut pas être représentée ici.
Chenonceau, hopital militaire
Ces drapeaux français surmontés de la mention « hôpital militaire » sont les emblèmes d’une autre époque marquante de Chenonceau. À la mort de Louise Dupin, le domaine passe à ses neveux puis sera racheté par Marguerite Pelouze, issue de la bourgeoisie industrielle du XIXe siècle. Elle consacrera la majeure partie de sa fortune à des restaurations somptuaires, souhaitant rétablir le château tel qu’il fût du temps de Diane de Poitiers. Entraînée dans un scandale politique par son frère, Marguerite Pelouze cédera Chenonceau au Crédit Foncier en 1888. Il sera racheté en 1913 par Henri Menier, alors à la tête des fameux chocolats Menier. C’est Gaston Menier, devenu propriétaire à la mort de son frère, qui prendra la décision de transformer les deux grandes galeries en hôpital militaire, y faisant, à ses frais, installer tout ce qu’il y avait de plus moderne pour l’époque. Plus de 2 000 blessés seront soignés ici, trompant parfois l’ennui en taquinant le goujon depuis leur lit au-dessus du Cher ! Le dernier blessé quittera Chenonceau le 31 décembre 1918. Le château est toujours la propriété de la famille Menier.