On donne le nom de ciseaux à un instrument tranchant composé de deux branches réunies par un clou placé au milieu et qui leur sert d'axe. » Ainsi sont définis les ciseaux dans le Manuel encyclopédique Roret daté de 1835. Certes, ce n'est pas la première description que l'on trouve de cet outil, ni la plus ancienne ni la plus fouillée, mais elle a le mérite du charme et de la simplicité.
Poursuivons sa lecture : « Chaque branche se divise en cinq parties : l'anneau, qui est à l'extrémité et qui sert à la saisir avec un ou deux doigts ; la pointe, qui est à l'extrémité opposée à l'anneau, et qui sert à piquer ; l'écusson, sur lequel est placé l'axe ou le clou ; la branche proprement dite qui se voit entre l'écusson et l'anneau ; la lame, qui existe entre la pointe et l'écusson. On distingue encore deux parties essentielles qui sont l'entaille ou l'endroit échancré où commence la lame et le coupant, et l'entablure, ou la partie évidée qui sert à empêcher les deux branches de passer l'une sur l'autre en se fermant. » Toutes ces parties des ciseaux, anneaux, pointes, écusson, branches, lames, entaille et entablure, se retrouvent sur nos ciseaux d'aujourd'hui - sur ceux de bonne qualité, s'entend - comme on les trouvait déjà sur ceux du Moyen âge.
Remarquez la belle châtelaine que porte cette dame
avec paire de ciseaux, porte-aiguilles et coussins à épingles.
C'est à Saint-Joanny qu'est empruntée la description suivante de la fabrication des ciseaux :
« Quant aux ciseaux, outre le martinaire, le forgeron et le limeur, ils emploient successivement l'ajusteur, qui ajuste les deux branches et les perce, le dresseur, qui donne aux branches la voilure convenable, l'émouleur en premier, le taraudeur, chargé de la confection des vis et du taraudage, la rajusteur, qui lime à nouveau les branches, l'acheveur, qui donne un dernier coup de lime aux branches et aux anneaux, l'affileur en premier qui dispose les tranchants à la coupe, le rifleur, qui fait pour la lame ce que l'acheveur fait pour le reste du ciseau, le taraudeur, déjà nommé, qui enlève la vis, le trempeur, le redresseur, qui répare le gauchissement causé par la trempe, l'émouleur en second, qui travaille seulement à l'intérieur de la lame et l'arête des tranchants, la frotteuse, chargée d'enlever la couche d'oxyde laissée par la trempe, le taraudeur encore, qui rassemble de nouveau les branches en posant la vis, l'affileur, le polisseur, l'essuyeuse... »
Branches de ciseaux forgées. C’est au rajusteur que revenait la tâche
d’affiner les branches brutes sorties des mains du forgeron.
A cette énumération de tâches, il convient d'ajouter une étape qui, lorsqu'elles ont été parfaitement ajustées une première fois pour « faire la paire », consiste à repérer chacune des deux constituantes d'une paire de ciseaux. Ces marques sont visibles au creux de l'entablure - soit de petits coups de limes, soit la frappe de chiffres -, dans cette partie intime de la paire de ciseaux, et elles sont, bien sûr, cachées lorsque cette dernière est fermée. Il faut noter que les ciseaux sont assemblés et réglés avant la trempe, et qu'ils sont ensuite démontés pour cette opération délicate donnant toute sa dureté à l'acier. Ils devront ensuite être redressés, la forte température ayant déformé les constituantes. Un nouveau montage et un nouveau réglage seront donc nécessaires.
Marques d’appairage des deux branches : à gauche, les repères sont constitués
de chiffres frappés. Mais il pouvait arriver que l’artisan, ne disposant pas de poinçons
ou souhaitant gagner du temps, fasse alors ses repères avec de petits coups de lime (à droite).
Il faut absolument se souvenir de toutes les étapes de fabrication lorsqu'on prend en main une paire de ciseaux anciens, et avoir une pensée émue pour les ouvriers qui ont effectué toutes ces tâches. Des tâches qui, selon les bassins industriels, étaient exécutées de deux manières différentes. à Thiers, couteliers et ciseliers ont très tôt eu tendance à séparer les opérations. Les émouleurs émoulaient, les taraudeurs taraudaient, les ajusteurs ajustaient, etc. Dans l'organisation thiernoise, la fabrication était donc morcelée, ce qui avait pour conséquence que, pour livrer les pièces d'un métier à l'autre, des centaines de portefaix sillonnaient les rues de la « ville noire ». à l'intérieur de la ville et de ses faubourgs, mais aussi dans la montagne environnante, où des paysans, une fois les travaux des champs et de l'élevage terminés, se penchaient sur l'établi pour monter des couteaux et des ciseaux. Au contraire, dans d'autres régions productrices, comme Langres et Nogent, ou encore Châtellerault, le ciselier faisait ses ciseaux d'un bout à l'autre, de l'ébauche à la trempe, en passant par l'ajustage et le montage. Seul l'essuyage, et parfois le polissage de finition, revenait à l'épouse du ciselier. Question de culture.
Les marques d’appairage sont un bon moyen pour détecter si une paire de ciseaux est ou non de qualité. Ces quatre paires de ciseaux à usage professionnel en sont pourvues.
Ci-dessous, des forces anciennes signées « Laverde à Corbeil ». « Les forces se composent de deux lames réunies par un demi-cercle d’acier qui fait ressort et qui permet de les rapprocher ou de les éloigner suivant le besoin de celui qui s’en sert. » Camille Pagé dans La Coutellerie des origines à nos jours, monumental ouvrage paru en quatre tomes entre 1896 et 1904.
Mais, avant que ne soient inventés les ciseaux, ce sont des forces que les hommes ont utilisés. Voici la définition de cet outil telle qu'elle figure dans le dictionnaire de messieurs Larive et Fleury, de 1887 : « Du latin forfices, sortes de grands ciseaux pour tondre les draps, couper les feuilles de fer blanc, etc. » La fin de la définition précise que l'on pouvait dire « des forces », ou « une paire de forces ». Comme on le voit, les notions de ciseaux et de forces sont intimement liées, bien que les ciseaux aient été fabriqués par les ciseliers, tandis qu'aux forcetiers échoyait la spécialité de fabriquer des forces.
Les Grecs faisaient usage de forces. Les Romains, qui leur donnaient le nom de forfex ou ciseaux rogneurs, les employaient pour rogner les cheveux ou la barbe. On peut distinguer les grandes forces, qui servaient à tondre les draps, les petites forces ou ciseaux de lingères et de couturières et enfin les forcettes des trousses de toilette.
Dans son livre Les Outils de métiers, Daniel Boucard explique l'importance de l'industrie drapière en France, et particulièrement en Normandie. à la fin du XVIIIe siècle, les tissus les plus fins étaient appelés Trente et Un, parce qu'ils étaient tissés avec trente et une fois cent fils. d'où l'expression populaire « se mettre sur son 31 », pour dire qu'on met ses plus beaux habits, son linge le plus fin. Les tissus, ou draps communs, étaient, eux, moins serrés et comportaient de nombreuses imperfections et autres ébouriffages. Chez le drapier, l'une des dernières opérations consistait à tondre littéralement le tissu, à l'aide de forces de très grandes dimensions, proches de la hauteur... d'un homme ! Avant ce tondage, il fallait peigner le drap, ébouriffer ce qui ne l'était pas assez, afin de redresser les fils pour que les forces que les drapiers portaient horizontalement, à hauteur du bassin, puissent faire leur office. Travail harassant que la tonture des draps, d'autant que le ressort des forces de drapier exigeait, pour être actionné, une grande... force. d'où leur nom. Aujourd'hui encore, les filatures, les soyeux, ce qui reste de guimpiers se servent de forces pour couper les fils. Ce genre de ciseaux a l'avantage d'être immédiatement opérationnel, ce qui n'est pas le cas de ciseaux qui, s'ils sont trop ouverts, sont une cause de perte de temps.
Contemporaines des forces duXVIIIe siècle, cette magnifique paire de ciseaux de drapier
servait donc à couper les tissus lorsque ceux-ci, terminés,
avaient longuement été ébouriffés et tondus.
On trouve les premières traces de ciseaux, tels qu'on les connaît encore de nos jours, sur une enluminure d'une Bible en latin du xe siècle. Quelques siècles plus tard, les références aux ciseaux seront plus nombreuses. En 1328, dans l'inventaire de Clémence de Hongrie, il est fait mention d'une paire de ciseaux. En 1599, l'inventaire de Gabrielle d'Estrée signale « deux estuiz d'or à mettre ciseaux, garnis l'un tout de diamans et l'autre de rubiz et diamans, prisés trois cens écus ».
Au XVIIIe siècle, les travaux de broderie et de tapisserie étaient devenus une activité que les riches élégantes pratiquaient dans leur salon. Ce siècle fut aussi celui d'un grand raffinement dans la fabrication des objets, époque où les artisans surent travailler avec adresse les matières les plus variées. Il était donc inévitable que les ciseaux, instrument essentiel des ouvrages de dames, rencontrent des artistes-ciseliers. Cela a donné nombre de petites merveilles dont la diversité est rarement soupçonnée.
Nogent-en-Bassigny, en Haute-Marne, peut être considérée comme la capitale
des ciseaux de qualité. Là, le terme « broder » désigne tous les petits ciseaux destinés,
certes, à l'usage de la broderie, mais aussi aux divers travaux de tapisserie
ou de couture fine. Les plus beaux ciseaux peuvent être ce qu'il est permis
d'appeler de la véritable dentelle d'acier dont le travail est aussi difficile,
si ce n'est plus, que celui de l'or ou de l'argent.